Régny
Composition, 1955
Huile sur panneau
135 x 72 cm
Collection Collège Supérieur, Lyon
Exposée à la Galerie Folklore (Marcel Michaud) en 1955
Ce tableau réalisé en 1955 est caractéristique de la période où Paul Régny travaille selon l’enseignement et les principes d’Albert Gleizes ; il a pour but de créer une œuvre objective que le regard du spectateur va parcourir, une œuvre que le spectateur va s’approprier, aidé en cela par les techniques employées par le peintre.
Un des éléments de ce tableau attire l’œil, par sa position, sa couleur : le rectangle jaune, sorte de réduction du support sur lequel peint l’artiste. A partir de là, sur le même plan vertical, d’autres rectangles de grandeurs variables sont créés selon le principe de la translation, mais que l’on aperçoit modifiés par la suite du travail du peintre ; ils gardent néanmoins certaines de leurs lignes, comme par exemple juste à gauche le rectangle brun dont le côté droit est conservé avec cette grande ligne verticale presque au centre du tableau ; ou encore les restes d’un rectangle jaune à droite du premier. Cela va entraîner l’œil à passer d’un plan à un autre du haut en bas, de gauche à droite, d’avant en arrière sur des formes de proportions différentes… Nous sommes dans le domaine du lieu, des espaces, de l’immuable, qu’il faut dépasser pour atteindre le temps mobile.
Le peintre va alors créer d’autre formes selon un axe qui a basculé à gauche et à droite, c’est la rotation : « ici le pivot de l’objet s’incline sur lui-même selon une orientation angulaire qui modifie l’équilibre originel et nous donne la sensation qu’un mouvement s’est produit » (H.Giriat). Votre œil a bien sûr suivi ces nouveaux rectangles, à l’arrière ou à l’avant des premiers, avec un nouvel axe vers la droite du tableau ; et ce passage du statique au mobile va de plus être marqué par une transformation de couleur, du jaune au vert clair, de l’ocre à un vert plus soutenu, tandis qu’apparaît, à gauche, non pas un losange mais l’extrémité d’un rectangle noir dans une rotation à gauche. Ces transformations font également découvrir une forme centrale, d’un vert clair proche de celui du fond, dont le côté gauche va suivre les alternances des axes de rotation. Nous sommes entrés dans la continuité évolutive, dans la durée, dans le temps. Des cadences formées par des lignes verticales (le côté droit du rectangle brun, la droite bleu à gauche), ou obliques (bleu vert à droite, noir et brun clair à gauche) , quelques rares courbes (en haut à gauche au dessus du jaune déjà lui même légèrement arrondi), vont souligner ce passage de l’espace à la transformation temporelle.
Tout ce travail et la qualité créative de l’artiste permettent de donner à l’œuvre son rythme. « Le rythme dénoue en quelque sorte dans son unité formelle ce qu’ont d’inconciliable ces deux absolus de caractères opposés, l’immobile et le mobile » et plus loin : « la substance du rythme est immuable, mais sa forme est variable : cette forme a un modèle parfait mais elle peut, pour nous, prendre d’infinies inflexions : ce qui donne aux œuvres leur personnalité » (A. Gleizes).
En conclusion, c’est ainsi que « La peinture, au lieu de nous arrêter sur un spectacle formel, va nous entraîner vers une transformation, vers un au-delà d’elle-même. Et finalement de nous-même » (H. Giriat). Une phrase qui pourrait résumer le travail de Paul Régny qui lui même écrivait en 1954 à la fin de son texte dans l’Hommage à Gleizes de l’Atelier de la Rose : « Albert Gleizes nous a livré un métier objectif que nous devons patiemment approfondir, et c’est notre sensibilité, soumise à ses lois, et par là enrichie et universalisée, qui nous permettra de nous réaliser et de faire se réaliser les autres dans la plénitude de l’Amour ». Une éthique de la création artistique qui fut toujours sienne et qu’il mit en œuvre au cours de sa vie selon des modalités plastiques propres à l’évolution de sa recherche.